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pharmaco-medicale

Site du Collège National de Pharmacologie Médicale

Anticalcineurines

Résumé de la fiche

Les anticalcineurines regroupent la ciclosporine et le tacrolimus. Leur mécanisme d'action commun conduit à inhiber la réponse lymphocytaire T faisant suite à une stimulation antigénique.

Grâce à l'utilisation de ces molécules, le taux de survie des transplantations d'organes solides à significativement augmenté. Toutefois, ce gain thérapeutique est obtenu au prix d'une forte incidence de toxicité rénale.

Le Suivi Thérapeutique Pharmacologique (STP) permet de dimininuer les risques inhérant à l'utilisation de ces molécules. Cela permet d'éviter un sous-dosage entrainant un risque de rejet ou de surdosage augmentant l'incidence des toxicités.

La ciclosporine et le tacrolimus sont des médicaments à marge thérapeutique étroite possédant une forte variabilité pharmacocinétique interindividuelle. Une des raisons est qu'ils sont subtrats du CYP3A4 et de la P-gp. Ce cytochrome et ce transporteur sont au coeur de nombreuses interactions rendant le STP et a fortiori l'adaptation de leur posologie difficile.

Item(s) ECN

(R2C) 192 : Pathologies auto-immunes
(R2C) 193 : Connaître les principaux types de vascularite systémique, les organes cibles, les outils diagnostiques et les moyens thérapeutiques
(R2C) 201 : Transplantation d'organe
(R2C) 330 : Prescription et surveillance des classes de médicaments les plus courantes chez l'adulte et chez l'enfant, hors anti-infectieux (voir item 177).

Rappel physiopathologique

Voir : IMMUNOSUPPRESSEURS : LES POINTS ESSENTIELS

Médicaments existants

Actuellement deux molécules sont disponibles : la ciclosporine (e.g. Sandimmun®, Neoral®) et le tacrolimus (e.g. Prograf®, Adoport®,Advagraf®, Conferoport®, Modigraf®, Envarsus®).

Mécanismes d’action des différentes molécules

- L'activation du lymphocyte T CD4 par un antigène nécessite deux signaux: le signal antigénique et une co-stimulation par une autre interaction. La reconnaissance de l'antigène peut alors provoquer une cascade de réactions, aboutissant à l’augmentation du calcium intracellulaire et à l'activation de la calcineurine. La calcineurine activée déphosphoryle le NFAT (facteur nucléaire des cellules T activées) ce qui lui permet de pénétrer dans le noyau du lymphocyte T. Le NFAT est un facteur de transcription du gène de l’interleukine-2. L'interleukine-2 synthétisée et libérée et va elle-même induire la prolifération de lymphocytes T et la production de cytokines.

La ciclosporine et le tacrolimus, une fois distribués, vont pénétrer dans le cytoplasme lymphocytaire et se complexifier avec une protéine, cyclophiline (pour la ciclosporine) et FKBP12 (pour le tacrolimus). Le complexe formé (ciclosporine/cyclophiline et Tacrolimus/FKBP12) se liera de manière non compétitive et inhibera l'activité de phosphatase de la calcineurine induisant l'inhibition du signal de transduction des lymphocytes T.

Figure 1 : Mécanisme d'action des anticalcineurines

Effets utiles en clinique

Les anticalcineurines, et la ciclosporine en particulier, font encore actuellement l'objet de nombreux essais cliniques cherchant de nouvelles indications. Certaines indications ont pu être ajoutées récemment mais le rapport bénéfice/risque défavorable limite leur utilisation aux formes résistantes ou sévères de ces affections. Le tableau 1 regroupe les indications des anticalcineurines.

La ciclosporine et le tacrolimus ont fait l'objet de nombreuses études comparatives dans l'indication de prévention de rejet après transplantation. Ils ont démontrés leur efficacité et donc leur utilité dans les transplantations rénales, hépatiques, cardiaques, cardio-pulmonaires, pancréatiques (co-transplantation avec un rein) et les greffes de moelle allogéniques. Le traitement immunosuppresseur associe plusieurs médicaments dont le plus souvent des glucocorticoïdes. De nombreux protocoles sont proposés, différents selon le type de transplantation et parfois selon les centres.

 Domaine

Indication

Ciclosporine

Tacrolimus

Transplantation

Prévention du rejet

 

Traitement du rejet

I

 

I

(transplantation d'organes solides et greffe de moelle osseuse et  de cellules souches pour Néoral et Sandimmun)

I

 

I

(- Greffes rénales, hépatiques et cardiaques pour Prograf et Modigraf

- Greffes rénales et hépatiques pour Advagraf et Envarsus)

Dermatologie

Psoriasis

 

Dermatite atopique

II

 

II

NV

 

II

Rhumatologie

Polyarthrite rhumatoïde

Lupus Erythémateux Disséminé

II

 

II

NV

 

II

Ophtalmologie

Uvéite

II

II

Autres

Syndromes néphrotiques

Aplasie Médullaire Acquise

Myasthénie

Cirrhose biliaire primitive

II

 

II

 

II

 

NV

II

 

-

 

II

 

NV

I : en première intention ; II : en cas d’inefficacité des traitements classiques et/ou de formes sévères; NV: indications non validées mais ayant fait l'objet d'essais thérapeutiques.

Pharmacodynamie des effets utiles en clinique

Des essais cliniques randomisés ont comparé le tacrolimus et la ciclosporine dans la prévention du rejet de greffe. Le tableau suivant synthétise les résultats de ces études (% de patients).

 

Transplantation hépatique

Transplantation rénale

UE1

US2

UE1

US2

Tacro

CsA

Tacro

CsA

Tacro

CsA

Tacro

CsA

Effectif

264

265

263

266

303

145

205

207

Survie à 1 an (%)

82,9

77,5

88

88

93

96,5

95,6

96,6

Survie du greffon à 1 an (%)

77,5

72,6

82

79

82,5

86,2

91,2

87,9

Rejet aigu (%)

43,4*

53,6

68*

76

17,5*

35,9

27,8*

44,4

Rejet aigu réfractaire (%)

0,8*

5,6

3*

15

       

* : différence statistiquement significative en faveur du groupe tacrolimus.
UE: études européennes ; US : études américaines
Tacro: tacrolimus ; CsA: ciclosporine
1: European FK506 multicentre liver study group. Lancet 1994; 344: 423-428.
2: The US multicenter FK506 liver study group. NEJM 1994; 331: 1110-1115.
3: Multicenter randomized trial comparing tacrolimus (FK506) and cyclosporine in the prevention of renal allograft rejection. Transplantation 1997; 64: 436-443.
4: A comparison of tacrolimus (FK506) and cyclosporine for immunosuppression after cadaveric renal transplantation. Transplantation 1997; 63: 977-983.

Les formulations à libération prolongée de tacrolimus ont montré des preuves de non-infériorité par rapport au tacrolimus libération immédiate notamment chez les sujets transplantés rénaux.

Caractéristiques pharmacocinétiques utiles en clinique

La ciclosporine a d'abord été commercialisée sous le nom de la spécialité Sandimmun® avant de l'être sous le nom de Néoral®. La différence entre ces deux spécialités tient uniquement dans la formulation galénique : la forme du Néoral® a eu pour but d'améliorer l'absorption. De la même façon, le tacrolimus a été commercialisé sous les noms de spécialité Prograf®, Adoport® et Modigraf® qui sont des formes à libération immédiate puis sous les noms de spécialité Advagraf®, Conferoport® et Envarsus® à libération prolongée. L'erreur médicamenteuse de substitution involontaire de ces deux types de formulations de tacrolimus peut conduire à effets indésirables. 

 

Ciclosporine (Néoral®)

Tacrolimus (Prograf®)

Tmax (h)

1-2

1 à 3 (Prograf®, Modigraf®, Adoport®)

2 (Advagraf®, Conferoport®)

6 (Envarsus®)

Biodisponibilité (%)

20-50

20-25

40 % supérieure avec Envarsus par rapport au Prograf® 

Volume de distribution (L/kg)

4-8

1

Demi-vie terminale (h)

6-20 (en fonction de la fonction hépatique)

11-16h

La ciclosporine et le tacrolimus sont métabolisés dans le foie et l'intestin en de nombreux métabolites (25 et >10 respectivement) par les cytochromes CYP3A4 et CYP3A5. 

Les formulations à libération prolongée de tacrolimus  permettent une prise unique quotidienne et leur moindre variation de Cmax et des fluctuations des concentrations basales observées. L'impact sur la néphrotoxicité devra être évalué.

Source de la variabilité de la réponse

La variabilité pharmacocinétique de la ciclosporine et du tacrolimus est en grande partie liée à des variations inter et intraindividuelles touchant les activités des cytochromes P450 (CYP3A4 et CYP3A5) qui métabolisent ces molécules. Cette variabilité peut également s'expliquer en considérant les variations intra- et interindividuelles touchant la P-gp (P-glycoprotein ou ABCB1), une glycoprotéine membranaire, qui participe à l'efflux extracellulaire des anticalcineurines.

Les variations d'expression et d'activité (inhibition) des CYP3A4-5 et de la P-gp ont une origine environnementale (interactions médicamenteuses avec des médicaments associés, des aliments, du jus de pamplemousse…) et génétique. Les médicaments induisant l'expression de ces protéines ou les inhibant respectivement diminueront ou augmenteront les concentrations sanguines des anticalcineurines. Les interactions médicamenteuses peuvent être à l'origine d'inefficacité (rejet du greffon) ou de toxicité (surdosage). Le nombre des médicaments susceptibles de donner des interactions médicamenteuses avec les anticalcineurines augmente régulièrement, une liste indicative des conséquences et des produits concernés est donnée dans le tableau suivant :

Effets

Agents

Augmentation des concentrations de ciclosporine ou de tacrolimus

- Inhibiteurs calciques : diltiazem, vérapamil
- Antifongiques imidazolés : fluconazole, itraconazole, kétoconazole
- Antibiotiques : macrolides (érythromycine)

Diminution des concentrations de ciclosporine ou de tacrolimus

- Anticonvulsivants : carbamazépine, phénobarbital, phénytoïne, primidone
- Antibiotiques : rifampicine

Potentialisation de la toxicité rénale de la ciclosporine

- Aminosides
- Antiviraux : aciclovir
- Antifongiques : amphotéricine B
- Antiinflammatoires non-stéroïdiens : diclofenac, naproxène, sulindac

 

La ciclosporine est un inhibiteur du cytochrome CYP3A4 et de la P-gp, il est donc également pourvoyeur d'interactions médicamenteuses.

 

Situations à risque ou déconseillées

Contre-indications
- Hypersensibilité connue à la ciclosporine ou au tacrolimus.
- Femme enceinte ou qui allaite pour le tacrolimus.
- Un certain nombre d'associations médicamenteuses à risque d'interaction constituent des contre-indications.
- Les contre-indications décrites dans le Résumé des Caractéristiques des Produits varient selon l'indication thérapeutique (transplantation, psoriasis, etc.).

Précautions d’emploi

Les anticalcineurines sont des médicaments à faible index thérapeutique, c'est-à-dire que les concentrations nécessaires pour obtenir une prévention efficace sont peu différentes des concentrations à risque de toxicité.

Bien que certains facteurs de variabilité soient connus, les variations de concentrations sanguines de la ciclosporine et du tacrolimus sont souvent imprévisibles. La faible marge thérapeutique de ces produits impose une évaluation clinique des signes de rejet et de tolérance ainsi qu'un STP régulier avec de fréquentes mesures des concentrations sanguines.

Le suivi des concentrations sanguines de ces immunosuppresseurs doit être pratiqué en routine. Ce suivi est actuellement le plus souvent réalisé sur des concentrations sanguines résiduelles (Cres) (prélèvement sanguin réalisé immédiatement avant l'administration du médicament au patient). En effet, le tacrolimus présente une bonne corrélation entre l'aire sous la courbe (AUC) (indice d'exposition) et les Cres. En revanche, les Cres de ciclosporine ne possèdent pas une bonne correlation avec l'AUC. 

Les concentrations sanguines "cibles" dépendent de l'organe greffé, du délai écoulé depuis la greffe (période d'induction ou phase de maintenance), du niveau immunologique et de la méthode de dosage.

Effets indésirables

Généralités

Les anticalcineurines ont de nombreux effets indésirables dont le type et l'incidence peuvent être influencés par les modalités de prescription. Notamment, les effets indésirables dépendants de la dose administrée (et donc de la concentration) sont plus fréquents et/ou plus graves dans les indications nécessitant de plus fortes posologies.

Molécule

Nature de l'effet indésirable

Gravité

Estimation de la fréquence

Description des effets indésirables

Ciclosporine

Toxicité rénale

Potentiellement très grave

5 – 21 % selon le type de toxicité

cf ci après

Toxicité neurologique

grave

12 – 26 %

cf ci après

Désordre glucidique

grave

7 %

Hyperglycémie - diabète

Désordres digestifs

modérée

8 - 35 %

Constipation, douleurs abdominales, diarrhée, nausée, vomissements

Désordres cardiovasculaires

grave

3 – 40 %

HTA, arythmies, insuffisance coronarienne

Infections bactériennes, fongiques et virales

grave

10 – 50 %

 

Hyperplasie gingivale

modérée

6 %

 

Hirsutisme, acnée

modérée

10 %

 

Cancers et syndromes lymphoprolifératifs

Potentiellement très grave

2 %

Tumeurs cutanées, syndromes lymphoprolifératifs, sarcome de kaposi

Désordres biologiques

modérée

10 – 15 %

Hyperkaliémie, anémie, leucopénie, acidose

Tacrolimus

Toxicité rénale

Potentiellement très grave

10 – 35 % selon le type de toxicité

Ressemble à la néphrotoxicité de la ciclosporine (cf ci après)

Toxicité neurologique

grave

20 – 35 %

cf ci après

Désordre glucidique

grave

12 - 16 %

Hyperglycémie - diabète

Désordres digestifs

modérée

12 - 31 %

Constipation, douleurs abdominales, diarrhée, nausée, vomissements

Désordres cardiovasculaires

grave

1 – 37 %

HTA, arythmies, insuffisance coronarienne

Infections bactériennes, fongiques et virales

grave

18 – 44 %

 

Hyperplasie gingivale

modérée

1 %

 

Acnée

modérée

3 %

 

Cancers et syndromes lymphoprolifératifs

Potentiellement très grave

2 %

Tumeurs cutanées, syndromes lymphoprolifératifs, sarcome de kaposi

Désordres biologiques

modérée

13 – 20 %

Hyperkaliémie, anémie, leucopénie, acidose

- Potentiellement très grave: devant être considérés comme mettant en jeu le pronostic vital.
- Grave: pouvant nécessiter une hospitalisation.
- Modérée: ne justifiant qu'exceptionnellement une hospitalisation mais pouvant être invalidants et justifier l'arrêt, au moins temporairement, du traitement.
- Faible: ne justifiant le plus souvent pas d'arrêt; même temporaire, du traitement. 

Toxicité rénale liée à la ciclosporine et au tacrolimus

La toxicité rénale peut s'exprimer sous la forme d'une élévation modérée et réversible de la créatininémie, d'une nécrose tubulaire aiguë ou d'une néphropathie chronique pouvant conduire à une insuffisance rénale terminale nécessitant des séances de dialyse.

Facteurs de risque

La néphrotoxicité de la ciclosporine, aiguë ou chronique, est dose-dépendante. L'incidence de la néphrotoxicité est corrélée à l'exposition à la ciclosporine (AUC).

Condition de survenue

L'insuffisance rénale aiguë survient plutôt à l'initiation du traitement, quand des doses élevées sont nécessaires. Par contre, la néphropathie chronique apparait après 6 mois de traitement.

Méthode diagnostisque

Le diagnostic repose essentiellement sur l'élévation de la créatinine associée à des concentrations sanguines élevées de ciclosporine. En cas de transplantation rénale, le diagnostic différentiel avec un rejet repose sur les concentrations sanguines de ciclosporine et la biopsie rénale. 

Traitement/antidote/prise en charge de l'effet indésirable

Le traitement de la toxicité rénale repose essentiellement sur la prévention. L'adaptation posologique adaptée au type de transplantation a permis de diminuer significativement les épisodes de toxicité rénale. Le STP est indispensable lors d'un traitement par ciclosporine ou  tacrolimus.

Alternatives, médicamenteuses ou non, si l'arrêt est impératif

Un relais est possible avec d'autres immunosuppresseurs tel que le sirolimus. 

Toxicité neurologique liée à la ciclosporine et au tacrolimus

Des symptômes neurologiques sont fréquemment rapportés à type de tremblements, céphalées, paresthésies, insomnies. Ils peuvent aller, à de fortes concentrations, jusqu'aux convulsions. L'incidence des effets indésirables neurologiques serait plus élevée avec le tacrolimus. Les convulsions pourraient être favorisées par l'hypomagnésémie, l'hypertension artérielle, une dose élevée de glucocorticoïdes, la néphrotoxicité et une hypocholestérolémie.

Surveillance des effets

 La surveillance des effets des anticalcineurines est régulière et de façon rapprochée en période d'induction s'espacant avec le délai post-greffe. Elle consiste en une évaluation clinique des signes de rejet et de tolérance ainsi qu'un STP régulier avec de fréquentes mesures des Cres

 

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  • 26 mai 2023